vendredi 30 novembre 2012

Le Puits de Célas, Valmalle

Cérémonie annuelle au Puits de Célas, anciens combattants et tout… Dommage que l’histoire des résistants qui y furent précipités ait été récupérée -comme tout- par les politiques. Discours vides, toujours identiques et roboratifs… J’avais envie de leur demander pardon. Les paroles de Gustau me revenaient en mémoire:
«Un jour, des messieurs en cravate nous congratuleront pour ce que nous avons fait… les mêmes peut-être que ceux qui à présent nous tirent dans le dos...» Amertume. Il y avait même un petit sous-préfet enharnaché d’or et de velours comme une vachette camarguaise qui a improvisé, visiblement à reculons, un court discours emberlificoté, candide mais aimable -et surtout rapide- accent parisien à l’appui, au terme duquel on pouvait retenir qu’il venait juste d’être nommé, qu’il ne savait pas très bien de quoi il s’agissait, enfin pas en détail mais qu’on lui en avait beaucoup parlé évidemment (!) qu’il se renseignerait plus avant -promis juré- d’ailleurs des histoires de ce genre, il en avait vu plein dans toute la France, et peut-être fallait-il oublier, faire la paix, enfin non, pas oublier, se souvenir au contraire, bien sûr, mais tout en allant de l’avant, c'est-à-dire… Bref, vous m’avez compris, je ne vais pas vous prendre plus de temps…»
Pas de quoi soulever les masses. Mais bref, le Démosthène. Et sincère, à sa façon. Ne cachant pas qu’il s’emmerdait, et en un sens, il n’avait pas tort. Les litanies d’Angelo avaient endormi tout le monde.

Angelo ! Il veut visiblement prendre en mains l’histoire et cache à peine ses visées électoralistes. Ce n’est pas un mauvais type, mais il a développé une ambition qui le fonde parfois à flagorner voire à modifier la vérité -en partie-. Tout le monde le sait mais on l’aime bien tout de même: sa chaleur humaine, sa truculence et son complexe évident de prolo qui veut s’instruire sont telles qu’elles font supporter ses minimes bassesses. Il est assez intelligent pour séduire, n’oubliant personne dans ses discours, énumérant, fût-ce de manière indigeste, tous les maquis qui ont existé dans la région, et il y en eut beaucoup, et nommant un par un les morts et les vivants, avec un petit mot dithyrambique sur tous. Ça dure ! Soit. Lorsqu’il m’invita à Nîmes pour une soirée de poèmes et de discours sur la guerre d’Espagne -mais en espagnol exclusivement- bien que je me sois cachée tout au fond de la salle dans l’intention de m’en aller discrètement, il m’aperçut et, en gesticulant, de loin, s’écria:
-- Irène ! Viens ici.
Il m’avait réservé une place à ses côtés, devant, en plein milieu, juste sous la scène. J’ai dû rester les trois heures réglementaires retenant mes bâillements, (la langue collée au palais, comme on enseigne aux jeunes filles bien élevées) sans rien comprendre. Ça, je n’oublierai pas. En plus il fallait parfois rire, pour ne pas désobliger les acteurs.

Je suis restée seule au puits, comme pour chasser les miasmes. Louise était là, toujours égale à elle-même.
-- Il en a trois que je connaissais très bien là dedans, tout au fond…» m’a-t-elle dit, avec, le cas est rare chez elle, une émotion perceptible, presque une larme. Trois bons copains. Elle se gelait, je lui ai proposé mon écharpe en laine bien chaude et plus ou moins sale, qu’elle a refusée. Sacrée Louise. Elle va devoir se faire opérer du bras, qui est devenu quasiment paralysé et surtout qui la fait souffrir en permanence. Elle a du mal à conduire. Mais le chirurgien qui est l’as spécialiste du coude qui dysfonctionne chez elle opère à Mistral. Mauvais augure.

J’ai envie d’y retourner ce soir. Pardon Gustau de ne pas avoir su parler. Mais écrire, si. J’ai parfois envie de devenir célèbre rien que pour pouvoir ensuite dire, rectifier, la réalité historique, même partiellement. -Au fond, je ne vaux guère mieux que le curé ; je suis une adolescente mal vieillie.-

Non ils ne sont pas morts pour la France, mais pour la liberté. Il y avait parmi eux autant d’étrangers que de français, et deux femmes allemandes. Mortes pour ce que l’on voudra, mais mortes et non morts (à l’énumération des noms, un à un, un ancien combattant répondait comme d’habitude: «mort pour la France»… y compris après: «Lisa Ost» et «Hedwig Rhamel» ! Ont-ils saisi depuis le temps qu’elles étaient des femmes ?) Et les gens qui les ont fait tomber n’étaient pas des «allemands» mais pour la plupart des miliciens français -même si ensuite ce sont bien les SS de la division Brandebourg qui les ont massacrés-… Non, ils n’ont pas été fusillés mais la plupart sont morts sous la torture et certains ont sans doute été jetés vivants. Non, les miliciens qui les ont sortis ensuite n’ont pas été précipités dans le puits… !!! Non, tous n’étaient pas également engagés dans le combat, certains, Valmalle par exemple n’ayant eu pour fait d’armes -et c’est déjà beaucoup- que d’avoir tu la teneur probable des colis -des tracts- que des inconnus mettaient dans le car qu’il conduisait sur la ligne Malaigues - Saint Jean, récupérés ensuite par d’autres inconnus… Enfin…

Un type qui prétendait tout savoir s’est esclaffé lorsqu’il a fait mention des femmes tondues. Un flash. Il devait être du genre à l’avoir fait ou à avoir applaudi et contemplé en bandant. Je l’ai engueulé assez fortement. Il a voulu ensuite se rendre intéressant en affirmant connaître un traître qui les aurait tous envoyés dans ce puits. Primo, c’est impossible parce qu’ils n’ont pas été pris en même temps et chacun a eu une histoire différente. Ensuite, il a royalement parlé de Vigne, dont tout le monde sait en effet l’implication comme donneur. Beau scoop. Je pensais qu’il allait citer cette femme de Lassalle maîtresse d’un soldat allemand, moins connue, qui, adolescente, aurait dénoncé Valmalle par vengeance -il avait averti sa mère à mi mot qu’elle batifolait au lieu d’aller au lycée- puis fut sauvée par un résistant qui l’épousa juste à la libération… qu’elle quitta une fois en sécurité, s’engageant alors -comme son ex mari- dans l’armée où elle fit une belle carrière en Allemagne… et revint une fois les passions calmées, remariée bourgeoisement, dans son village… où elle escomptait se présenter sur la liste électorale majoritaire lorsque l’affaire éclata ; elle fut alors forcée de démissionner… Sans sa cupide ambition, personne n’aurait jamais parlé…

Mais elle avait quinze ans alors: c’était sans doute une adolescente amoureuse qui probablement ne se rendit pas compte de ce qu’allaient provoquer ses propos, tenus sans doute au milieu de larmes, devant son bel aryen navré auquel elle annonçait la rupture imposée par l’intraitable maman. Avertie, hélas. Mais par qui ? Par ce vieux salaud de conducteur. Et qui ne se gêne pas pour transporter des drôles de colis, en plus*… C’est simple, voilà comment Valmalle, le brave chauffeur pied bot qui ne parlait que patois et considérait un peu les enfants qu’il transportait comme siens finit massacré sous la torture et précipité dans le Puits. Un nom sur une dalle.

A-t-elle eu des remords ? Aima-t-elle son résistant épousé à la hâte tout de suite après ? Et enfin, son dernier mari, riche et conciliant ? Était-elle si éblouissante, cette femme qui sut toujours séduire au bon moment les hommes qu’il lui fallait ? Peu soucieuse de rencontrer un tel personnage bien que j’écrivis alors les «Lettres à Lydie», j’ai questionné indirectement des voisins, car elle semblait emblématique de ces situations exceptionnelles où parfois ceux qui se comportèrent en salauds ne l’étaient pas vraiment… ou pas tout à fait. Les réponses furent unanimes, souvent après un éclat de rire joyeux et cruel. C’était, c’est toujours, un pot à tabac au nez en patate avec des yeux louches trop rapprochés. Les femmes fatales ne sont pas ce que l’on croit. 

* Le seul fait de résistance de Valmalle, ce qui n'était pas si mal -mais ce n'est pas pour cela qu'il fut pris- fut en effet de transporter des tracts de Malaigues à St Jean régulièrement. Quelqu'un les déposait dans la soute, et d'autres les reprenaient à chaque arrêt -il savait fort bien de quoi il s'agissait et s'était toujours tù-.

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