mardi 11 décembre 2012

La faute


{J'ai peur} d’être en faute. Mais c’est justement en ne bougeant pas que je le suis. De réussir. De rater. Des autres. Il faut réagir. Jean-Baptiste me dit que j’ai un talent littéraire etc etc… je suis touchée, même si je pense qu’il est surtout gentil. C’est cela. De réussir. Eh bien il faut me dire que cela aussi je le mérite. Facile à dire, difficile à croire. La méthode Coué. Je mérite de réussir. D’être reconnue. Allons-y. Je mérite de réussir. D’être reconnue. Je mérite de réussir. D’être reconnue. Je mérite de réussir. D’être reconnue. Je mérite de réussir. D’être reconnue. Je vais m’endormir en me le répétant. On ne sait jamais.

Pourquoi Jean-Baptiste dit-il qu’il m’admire -littérairement- ? Annelise (journaliste) qui ne l'aime guère a son idée la dessus: il veut vous piller parce qu’il est chroniquement en panne d’inspiration, n’oubliez pas qu’il vit de sa plume. Et qu’il adore l’argent... Oui mais… J’ai trouvé dans un livre qu’elle m’a offert un mot amical de Dany C, qu’elle avait oublié, comme marque page, Dany C., une femme que j’avais cherché à contacter -ce qu’Annelise n’ignorait pas- pour le livre sur les kurdes et qu’apparemment elle voit régulièrement. Alors ? Suis-je imprésentable ? Sans doute. Dans ce milieu-là ? Qui sait ? Non pourtant (pas dans ce milieu là) mais le croirait-elle ? Aurait-elle peur de mon engagement ? Attendrait-elle que je sois davantage reconnue pour m'aider ? (Mais alors je n’en aurai plus besoin.) Jean-Baptiste au contraire m’a donné tous les contacts possibles et imaginables, il est même allé jusqu’à parler de moi à JD… Et puis soudain plus rien. Là aussi ? Il m’a avoué s’être servi d’un de mes textes, ça ne me gêne pas. N’est-ce pas depuis ce temps qu’il n’insiste plus pour que j’aille voir JD ? Est-ce que je deviens parano ? Reste que ce texte est écrit pour lui, qui après les deux premières pages m'y a encouragée [c'est ce que j'ai lu de meilleur depuis longtemps m'avait-il dit.] Gentillesse, oui mais ça ne fait rien. Ça remonte tout de même le moral.

Je suis un objet de transfert, toujours. On m’aime bien, infiniment même, je suis pratique pour les dingues, et pour tous, j’ai l’habitude… mais on ne tient pas à ce que je vole trop haut, ni que je m’attache trop, ni ne me détache. On tient à marquer les distances avec l’infréquentable même -et surtout- douée. Ça doit être ça. Ils pensent que je vais les quitter si je m’envole. Une forme d’amour en somme, faite de jalousie (dans le bon sens du terme) ou plus exactement de possessivité. (De même Erwan faisait-il tout pour faire fuir les clients de la galerie ; Nathan agit-il exactement de la même manière en pire puisqu’il ne supportait même pas que j’écrive ou peigne devant lui, d’ailleurs je ne m’y risquais jamais ; et ma mère ne voulait-elle pas que je fasse d’études au delà du bac qui lui était indispensable.)

En fait, je suis surtout un objet cathartique. Ça explique que je fuie les gens: ils m’écrasent et/ou m’humilient même lorsqu’ils se montrent en apparence aimants. Se servent indirectement de moi comme d’un gladiateur dans les jeux du cirque ou d’un acteur, pour se distraire. Que l’on vient voir, à qui l’on parle, que l’on écoute avec attention… Mais que l’on ne salue pas ou de très loin dans la rue lorsque l’on est accompagné chic. A moins qu’il ne s’agisse d’une attitude normale dans un lieu où tous se côtoient forcément, je demeure pas tout à fait adaptée à la province et peut-être, cette attitude l'ont-ils envers tous ?

Annelise par exemple aimerait bien être comme moi, c'est-à-dire sans conformité sociale (il n’y a rien de plus conformiste socialement que cette femme sympathique, ouverte, de gauche, généreuse et presqu'engagée) mais elle n’y parvient pas ; mieux, elle n’essaye même pas, ce n’est pas son créneau. Ça lui fait peur. C’est une situation périlleuse, pénible, difficile. Elle fait partie du gratin, elle s’y plaît quoiqu’elle en dise mais elle en a parfois par-dessus la tête. Alors elle m’appelle. Je suis là comme un souffle d’air frais, pour rigoler, se détendre, se moquer de ceux qui l'instant d'après vont l'inviter à dîner. Elle a de la délicatesse, elle m’invite toujours en des endroits chics. Mais, moi partie, j’en suis certaine, elle rappelle ceux dont elle vient de me dire tout le mal qu’elle pense, car, ces gens qui ne me saluent pas -je ne les recherche pas du reste- sont tout de même ses amis de toujours, inscrits de manière pérenne dans son microcosme où le nom, l’argent, les relations et divers artefacts que j’ignore sont prépondérants.

Jean-Baptiste serait plus original et plus proche de moi, quoique pour des raisons diamétralement opposées, lui qui porte toujours les mêmes vêtements usés tachés au même endroit et qui est imposé sur la fortune ! Mais, par le biais de l’argent que lui rapportent ses livres, il demeure lui aussi dans la conformité la plus totale.… Le beruf de Jean-Baptiste pour l’argent… Quel mot employer ? Avarice ? Non puisqu’il peut parfois être généreux, et qu’il veut surtout en gagner, et de plus en plus, toujours plus et encore ; avidité ? Cupidité ? Mais en même temps il ne veut pas trop en lâcher. Lorsqu’il parle de ses livres, souvent titrés par un prénom de femme, on croirait un mac: «Michèle» m’a rapporté x mille euros, «Josette», y mille, et «Sophie» un peu moins etc… Lorsqu’il a vu mes textes sur l’ordinateur, il m’a dit «quel talent, il y a une fortune qui dort là dedans. Dommage tout cet argent qui ne sort pas!» Il assimile talent à argent. Même s’il répugne un peu à en dépenser, sa passion s’exprime judicieusement de manière plus boulimique que constipée. Avare, non, ne convient pas tout à fait.

Reste que son talent véritable le fonde à ne pas se soucier du qu’en-dira-t-on du moment que la personne qu’il fréquente, selon lui, en a aussi. Ce n’est pas dans un de ses livres que j’aurais retrouvé, oublié, un mot amical de quelqu’un que je cherche justement à contacter en me demandant comment. Au fond, le problème serait plutôt que je ne suis pas soumise à une passion funeste, je suis paradoxalement trop équilibrée. Je n’ai pas de vraie passion hormis la philosophie et mes enfants. Ni l’argent, comme Jean-Baptiste (je ne crache pas dessus mais je n’en fais pas un flan) ni la respectabilité comme Annelise, (cela ne me déplaît pas d’être reconnue, mais je ne flagornerais pas ceux qui se targuent de faire les noms dans Malaigues, en fait, c’est seulement que je m’estime plus cher), ni le souci de l’ego de Frédérique qui la rend à la fois mégalo et parano -et ultra discrète-. C’est peut-être justement ce qui me confère ce funeste détachement. Pathologique. La passion, même mauvaise, peut parfois générer d’excellentes réalisation: par exemple, les livres de Jean-Baptiste ; la gentillesse mondaine mais réelle d’Annelise et ses articles ; la fortune pour Frédérique (mais chez elle, il n’y a rien pour les autres mais à sa mort l’état deviendra plus riche.)

Cela ne m’a même pas dérangée chez Annelise, c’est cela qui est grave. De quoi suis-je faite ? Rien ne me dérange lorsqu’on m’aime. En un sens, je m’y attendais -presque-. Sans lui en vouloir. J’accepte d’être un objet cathartique. Lorsque Nathan voyait dans son service des télécom, régulièrement, jeter des ordinateurs en parfait état de marche sans m’en proposer un, cela non plus ne m’avait pas gênée… il a fallu que ce soit Guillem lorsqu’il fût adolescent qui en récupérât un, parvînt à le configurer avec une imprimante identiquement mise à la casse (en parfait état) pour que j’aie enfin le premier système qui m’a servi fidèlement durant dix ans. Mes premiers livres étaient manuscrits ou tapés sur une vieille machine bruyante, avec des corrections sur bandes blanches retapées et collées à la main ; parfois, sur une page, il y a autant de bandes que de texte normal, on croirait des reprises ou du tissage, c’est joli, mais quel travail. C’est seulement alors que j’ai réalisé à quel point Nathan, malgré les apparences, ne cherchait pas à me venir en aide. Pourquoi ?

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