Résolutions, suite
Résolution cinq: aller au Ranquet
voir le curé. Qui sait s’il n’y a pas déjà mis le souk ? Cet air d’enfant
paumé pour me dire: «je suis un homme donc forcément je ne sais pas faire
le ménage, mais il suffit de me le dire et je le fais, du moins ce que je
peux…» Oui, sauf les WC, le dessous de l’évier, les lavabos et bacs à douche,
enfin tout ce qui est le plus dégoûtant... Le scotch britte et le siff
seraient-ils portés par le chromosome X 23 ? Le pauvre petit Y ne fait pas
le poids, comme d’hab. Bon. A part ça il est bien et même il me paye presque
régulièrement, le cas est rare, il est vrai que ce que je lui demande est
dérisoire puisqu'il est censé entretenir le parc. Parfois, il faut un peu gronder
tout de même, mais ça s’arrange toujours.
La semaine dernière il a prié toute
la nuit pour que les loubards avinés s’arrêtent de crier et de rire sous nos
fenêtres. Le matin, il était tout près d’avoir perdu la foi ; Dieu m’a
abandonné, je pars définitivement à sa recherche m’a-t-il dit, les larmes aux
yeux. Il peut aussi bien le trouver au Ranquet qu’ailleurs puisqu’à mon avis il
n’est nulle part. Deus siva naturae. Pourquoi pas ? Il y sera tranquille
et gardera la maison. Plof coup triple, je ne suis pas si nulle en affaires
finalement. Un hectare de solitude et de bois clos dans une bâtisse sinistre en
plein mitan avec des murs de deux mètres qui ne craignent pas les coups de
canon et des ouvertures meurtrières, ça devrait lui convenir s’il ne devient pas
tout à fait fou avant. Déjà que, même sans ça…
Il y a d’ailleurs toujours un
ou plusieurs fous dans la famille*, c’est peut-être à cause de la maison. Ou de
la guerre. Actuellement, c’est moi qui ai repris le flambeau. C’est à dire
qu’il n’y a plus que moi. Alors forcément.
Il a eu un trauma crânien en lisant
la Bible autrefois: il est tombé dans un puits tête première, il y avait un
passage qu’il n’arrivait pas à comprendre et plof. Il ne se sentait pas capable
d’imiter le Christ etc etc… Un vertige, il ne se souvient plus très bien sauf
que Jésus lui a un peu parlé au fond, c’était la moindre des choses vu que
c’était à cause de ses obscurités littéraires qu’il était tombé dedans, deux ou
trois mots de politesse, (rien de pharamineux qui eût pu le faire canoniser)
genre «t’en fais pas, les pompiers arrivent» et pof c’est reparti, ils l’ont
pêché, lui et sa Bible. Depuis, il a des boules aux oreilles et est invalidé.
Il a une pension. Confortable. Et aussi un gros poil dans la main, non moins
confortable. C’est sûrement ma paranoïa qui me rend dure.
Lorsqu’il a fait sauter les plombs,
il s’est mis à pleurer. Je lui ai dit priez pendant que j’enclenche
l’interrupteur en bas. Lorsque je les ai rétablis, clic, il m’a prise pour
Prométhée. Fiat lux. Je biche. C’est honteux.
Je ne suis pas mécontente de
rencontrer plus taré que moi.
Moi, je sais enclencher les plombs,
clic, et je ne pleure pas lorsqu’ils sautent, je suis une jeune
(dixit le pauvre homme, tout est relatif) femme énergique et courageuse qui
sait la vie et qui bricole sans avoir peur, dit-il. Il est chou, ce vieil
adolescent avec ses boules de cire permanentes aux oreilles qui dessinent une
tache blanche, (du sur-mesure) pour chasser le bruit des démons, terrorisé par
les femmes, les hommes, l’électricité, par tout… et prie tout la journée… La
comparaison me flatte. Où en suis-je pour me laisser aller à des sentiments si
bas ? Minable.
Résolution six: aller demander mon
chèque à l’assurance. L’autre petit homo honteux qui joue au grand me regarde
de derrière son bunker d’un air sombre, affectant un sourire constipé au bout
d’un instant. Je ne suis pas une bonne affaire. Comme d’habitude, je sais.
«J’sais pas ce qu’ils me
trouvent, ce qu’ils me trouvent pas»… comme dit Anne Sylvestre. Là, c’est plus simple tout de même
car c’est juste une question d’argent. Quoique… Il avait cru avoir trouvé la
manne: trois maisons, deux voitures, une pauvre fille unique sans homme ni rien
de ce que les autres ont qui ne sait que faire de ces choses qui lui collent au
dos après la mort de ses parents… lesquels l’ont tant et tant persuadée que ce
n’était pas à elle, qu’elle n’avait aucun droit de propriété sur ces biens
qu’elle ne parvient même pas à ouvrir la porte sans crise d’angoisse etc etc…
et, depuis que je suis assurée, c’est la catastrophe, il doit croire que je
l’ai fait exprès, j’ai été cambriolée, il y a eu la tempête, Erwan, une autre
tempête, la cloison abattue, par ma faute ou plus exactement la faute dudit,
mais c’est encore de ma faute, la chaudière sabotée, voir le même, plus
quelques broutilles.
Bref, mon aventure romanesque,
folle et belle aussi lui a coûté des plumes. Et en plus, je me suis permise de
jouer les déléguées syndicales pour la pauvre secrétaire surexploitée, qui du
reste a aussitôt pris le parti de son patron, et vice versa, si bien que je les
ai eu tous les deux sur le dos, ça s’appelle le syndrome de Stockholm, (la
solidarité paradoxale de la victime vis-à-vis de son doleur.) L’horreur. Du
reste, ils m’ont virée. Assez mauvais joueurs: très grossièrement. Bon, je m’en
fous. La MAIF est mieux. Si seulement je pouvais ouvrir mon courrier. Les
employés n’y sont pas exploités et à Nîmes, personne ne saura rien de ma vie
affective, du reste un désert et qui le demeurera. Résolution permanente :
ne jamais prendre un/e assureur/e qui soit une relation que l’on côtoie plus ou
moins tous les jours. C’est l’inconvénient des villages.
On me déteste parfois.
Pourquoi ? On m’aime aussi, souvent. Pourquoi ? Pour les mêmes
raisons. Les deux offrent des avantages et des inconvénients. Il n’est pas
désagréable d’être détestée par les salauds. Mais ça fatigue aussi. Surtout
lorsque leurs victimes prennent leur parti.
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