mardi 13 novembre 2012

Vente de bébés, ou plutôt troc



Le scoop de la journée, moins drôle. Erwan est passé devant le portail en klaxonnant avec sa «fille», un joli bébé tout blond dont à l’évidence il ne peut être le père. J'ai fini par sortir, en refermant la grille. La mère est en prison pour longtemps m’a-t-il dit en toute simplicité après avoir poignardé son compagnon au cours d’une partie de speed un peu échevelée. Il s’en est tiré de justesse (!) Sans doute a-t-elle consenti à ce qu’il «reconnaisse» le bébé moyennant une compensation financière ? Ici aussi, on vend des enfants. L’avocat, les doses à payer etc… La petite vit à la centrale (!) avec sa mère mais le «père» a le droit de la prendre avec lui les week ends afin de la socialiser car dans quelques temps, elle sera inexorablement retirée à la maman. Il voulait me la "montrer". Il est très fier d’avoir à présent des papiers de séjour en règle, grâce à cette jolie petite qui, ô miracle, semble normale. Maintenant, il est inexpulsable, m’a-t-il dit crânement en la serrant dans ses bras.

Mais il semble s’en occuper convenablement, à sa manière. Il a été arrêté après un accident dont il était responsable, on lui a retiré son permis, ce qui ne l’empêche nullement de conduire et de la conduire. Il l’avait placée à l’avant sans l’attacher. Je l’ai engueulé, il s’est exécuté aussitôt devant moi. C’est important ?

Je pense à Mélanie, à Guillem, à toutes les attentions dont nous les avons comblés, dont nous les comblons toujours… et à cet enfant vendue par une mère délinquante à un dingue lui aussi délinquant qui ne veut que s’en servir pour obtenir ses papiers. Sordide. Les enfants ne partent pas tous avec les mêmes chances dans la vie.

Petit à petit, ça va mieux pourtant. Par la porte de la galerie, le monde s’est entrouvert, légèrement. Mais enfin il existe. Je ne suis plus tout à fait seule. Des gens sont là -mis à part Erwan- aimables, nouveaux, riches d’enseignements, qui ne sont pas tous issus du sinistre microcosme du passé qui m’a navrée, avilie et exclue. (A moins, par bravade, de me dire selon la formule consacrée, qu’être «méprisée par des imbéciles constitue un plaisir de gourmet.») Une fenêtre. Un souffle d’air. Ce doit être mes dents réparées -celles de devant ont été obturées provisoirement en urgence de manière quasi invisible, du bricolage selon la dentiste, mais quel bricolage- qui jouent un rôle déterminant. Je n’ai plus honte, plus peur de sourire à présent. Je peux recevoir. Résolution numéro un, immédiate: aller chez le coiffeur. Je sais que je ne ferai pas mais j’essaie de me bourrer le crâne. On ne sait jamais, je vais peut-être céder. Mais céder à qui ? A moi. Je vais peut-être me céder à moi-même.

Mais je n’ai toujours pas ouvert mon courrier ni envoyé le mail à l’agent. Jean-Baptiste va venir comme tous les dimanches, il est réglé comme une partition. Je l’attends avec impatience. Aura-t-il trouvé un agent ? Aura-t-il parlé avec Jean ? A-t-il donné le manuscrit en lecture ? Et à qui ? Mais pourquoi en moi ce mélange d’énergie et de lassitude ? Pas dans les mêmes domaines, évidemment. Il y a des années où l’on ne se sent pas très en train, en somme.


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