EDF, troisième
épisode, suite et fin
«EDF» n’a toujours pas appelé.
C’est fichu, à présent. Le curé est navré car il ne peut plus recharger son
portable. Tiens, il commence à prendre conscience que pour lui aussi, c’est
ennuyeux. Demain, peut-être ? Je n’ai même plus la force de me révolter.
Et auprès de qui, à cette heure ? Je vais ranger la galerie. Lourde
tâche. Agréable, au fond.
Miracle, coup de théâtre, «EDF» a
appelé… vers dix sept heures trente. Les ons techniciens cette fois, les
vrais, les seuls qui valent la peine. Des ons chirurgiens, des ons
tranchants. Un peu gênés. Est-ce que ça vous embête si on ne vient que
demain ? Parce qu’il est tard, comprenez- vous, et, etc... Mon énergie
revient d’un coup, finalement intacte. Je hurle. Bon, d’accord, ils vont
venir. Je fonce. Un embouteillage à Pont d’Avène. Un accident ? Ce n’est
pas possible. Je suis décidément maudite. Cela n’arrive jamais. Et il faut que
ce soit juste aujourd’hui… Je coupe la file, je slalome, portable sur les
genoux. Ouf, je suis passée, sous l’œil stupéfait des quidams qui attendent
sagement à la queue leue leue. Alléluia. Soubeiranes. Je les vois enfin,
garés vers le pont. Merci mon Dieu. Un camion bleu. Le gars qui est au volant
me fait signe d’y aller, il me suit. J’y «vais» donc. Personne derrière moi. Il
doit manœuvrer sans doute. Le curé sort, joyeux. Ils arrivent.
Enfin ! On descend vers le portail. Et on regarde le chemin. Bêtement, car
il n’y a rien à voir. Anne ma sœur Anne… On se sent dépendants, stupides mais
ça ne fait rien, on reste là, figés comme des santons. On attend. Personne. Il
est dix-neuf heures à présent. Ca, c’est mauvais. Mais où sont-ils passés
? Vous êtes sûre que vous les avez bien vus ? S’enquiert le
curé, qui redoute une hallucination. Oui. Il ne faut pas plus de trois minutes
du pont pour arriver ici. Je le sais bien. Il se désespère. Moi aussi. Je
rappelle deux fois le 810. Quimper, comme d’habitude, ils ne savent pas etc… Je
raccroche, après un merde retentissant, ça y est, j’ai craqué.
Je retourne au pont à toute allure.
S’ils étaient partis ? S’ils s’étaient perdus ? C’est
arrivé. Je manque d’emboutir un vieux monsieur en voiture qui marque trop
longuement le stop. Dégage connard, je ne l’ai pas dit mais bel et bien pensé.
Ca y est cette fois, je suis folle.
Le camion est toujours là, ouf. Je
me gare en double file sans mettre le clignotant. J’entends derrière moi
crisser des freins. Une moto fait un écart. On est toujours au volant, à
l’arrêt. Placide, on écoute la radio, on a visiblement la vie
devant soi. Il attend, me dit-il. Mais quoi ? Qui ? L’autre. Quel
autre ? Il faut qu’on soit deux. Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? Ca
fait deux fois que j’appelle. Il ne savait pas. Vous vous rendez compte que
vous rendez les gens dingues ? Non. Re coup de freins. J’y vais, c’est
dangereux. Le Ranquet, encore. Je rassure le curé qui en pleure presque. Si
près du but, mon Dieu et puis plus rien… C’est trop injuste. Je le lui
certifie, ils vont venir. Ils arrivent. Les voilà !!! Tous
les deux. Ils rétablissent en trois secondes, sans même nous faire l’aumône
d’un regard. Mais je les attends de pied ferme pour le dernier acte vengeur.
Discussion animée à laquelle, ô
stupeur, participe fortement le curé, qui, caché derrière moi, crie et
gesticule, les traitant indirectement de feignants de fonctionnaires, ce qu’ils
ne sont pas. Le ton est si soutenu que j’ai peur à un moment que, par mesure de
rétorsion, ils recoupent. Ces hommes à pinces sont puissants et
dangereux. Marina passe et repasse en quatre quatre devant le portail… et
ralentit à chaque fois, braquant légèrement son engin, mine de rien, sous
prétexte de malhabileté et d’étroitesse du passage, vers le dégagement de
l’allée où, tout en en haut, comme sur une scène de théâtre, a lieu le dernier
acte, très enlevé, de la pièce «Irène et EDF». (C’est tout à fait inutile, le
camion est bien garé, et elle est une conductrice macho, toujours à fond, mais
plutôt dégourdie ; malgré ses pointes de vitesse dangereuses dans ce
chemin en terre battue, elle n’a jamais écrasé un enfant, ce qui est tout à
fait remarquable.) J’ai envie de lui lancer: arrête toi carrément, tu
économiseras de l’essence et ce sera plus facile pour écouter.
Ils n’ont pas été prévenus que je les attendais
hier. Non, il n’y avait pas particulièrement de travail ni d’urgence ce jour
là. Mais c’est que voilà : c’est le «Central» qui appelle «Nîmes» ;
ensuite «Nîmes» qui appelle «Malaigues» ; puis «Malaigues», les Chefs de
Soubeirannes ; et enfin les Chefs, eux… Un travail délicat, comme
on peut voir, en quatre actes essentiels. Où diantre le fil a-t-il rompu ?
On ne sait pas. Ce n’est pas eux, en tout cas, ils ne
demandaient qu’à me rétablir, ils ne sont pas mauvais bougres, et ça
prend deux secondes, vous avez vu, et en plus, il n’y avait pas grand-chose à
faire hier après-midi. C’est les Chefs… (?) En tout cas, les risques de
thromboses anévrismales augmentent en proportion du nombre d’étapes dans tous
ces ordres sinueux répercutés. Ils en conviennent et me conseillent de leur
faire une lettre, à ceux de Nîmes. Puisque eux n’y sont pour
rien. Fin de l’épisode. Le curé a l’électricité. Dieu soit loué. Je sens en moi
la satisfaction du devoir accompli. Bêtement. A ce propos, il a oublié de me
payer.
Je file à Atuargues. L’instit
m’attend.
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